Les hommes...

Publié le par ticlou.over-blog.com

- Oh, tu as vu ces drôles de montagnes, là-bas ? remarque Ticlou.

-  Ce ne sont pas des montagnes mais des habitations, grommelle Erlik.

Ticlou regarde curieusement son compagnon. Apparemment, cette découverte n’a pas l’air de lui plaire. Ce changement d’humeur laisse perplexe le petit manchot.

- Qu’est-ce qu’elles ont de spécial ces habitations ?

- Elles abritent des espèces de pingouins comme toi qu’on appelle des humains.

- Je ne suis pas un pingouin, explose Ticlou, mais un manchot empereur ! Et d’abord c’est quoi un humain ?

-Un animal très dangereux qui n’aime, comme qui dirait, que lui. Allons-nous-en, Ticlou et tant pis si cela nous oblige à faire un grand détour. Un conseil : mieux vaut les éviter!

Sur ce, il donne l’exemple en s’éloignant des ennuis d’un pas nonchalant.

Ticlou n’est pas convaincu : si Erlik rebrousse chemin, c’est que la raison doit très importante. La Peur, sans aucun doute… Quelle est donc cette bête qui le fait fuir ? se demande-t-il.

De nature curieuse, le petit manchot empereur décide d’aller voir cela de plus près…

Ticlou se couche alors sur la glace et à l’aide de ses pattes glisse silencieusement vers le site interdit.

L’ours blanc continue à parler tout en marchant. Ce n’est qu’en lui demandant son avis qu’il s’aperçoit avec surprise et inquiétude qu’il dialogue avec le vent. Pire : cet imbécile d’oiseau fait la luge en direction des hommes… Dans un grognement furibond, il ordonne à son ami de revenir immédiatement auprès de lui.

Ce cri de colère alerte les gardiens canins des homo sapiens.

Quelle plaie !!! Il ne manquait plus que cela, maugrée-t-il.

 

Le campement des hommes est une station polaire située à quelques distances du Pôle Sud magnétique où séjournent, durant de longs mois, chercheurs, techniciens et chiens de traîneau.

Si les progrès technologiques sont la fierté de l’être humain en Antarctique, la nature sait rappeler à l’ordre son ego.

Héra, une chienne husky est sur ses gardes. Elle a entendu le grognement du grand carnassier blanc et senti son odeur. Ses compagnons sont très excités et aboient de plus belle. En chef de meute, Héra ordonne à ses fidèles de se taire par un grognement bref et sonore.

Les oreilles dressées, Héra voit une forme noire glisser doucement vers le campement des ses maîtres.

Bizarre. Ca sent l’ours, ça gueule comme un ours et c’est un pingouin qui arrive ; se dit-elle étonnée.

- Holà ! Qui va là ? crie-t-elle à l’inconnu. C’est mon territoire ! Il est interdit de passer sous peine de mort, comprends-tu ?

Ticlou se met sur ses deux pattes et se dirige tranquillement vers Héra.

- Bonjour, lui dit-il, je m’appelle Ticlou et je suis un manchot empereur.

Héra, méfiante et le poil hérissé, reste sur le qui-vive.

- Passe ton chemin ; pingouin. Tu n’es pas le bienvenu, ici. Tu es dans le domaine des humains et nous sommes leur gardien.

- Je ne suis pas un pingouin, rétorque Ticlou en s’avançant les ailes en arrière l’air menaçant.

- Si tu dépasses le périmètre de sécurité, à tes risques et périls ! prévient Héra.

Ticlou s’arrête net. Le manchot empereur connaît la signification des frontières du territoire virtuel. Dans le règne animal, chacun possède une limite de sécurité que l’on doit respecter. L’ignorer est considéré comme un acte de violation et d’agression ; le combat est inévitable et seules deux solutions résoudront ce dilemme : fuir ou gagner.

- Qui sont ces humains ? demande Ticlou.

- En quoi cela te regarde ? aboie Héra. Je te le répète : passe ton chemin, pingouin !

- Je ne fais rien de mal que je sache ? s’étonne Ticlou. Ai-je l’air si menaçant ?

Les oreilles en arrière, les babines relevées, Héra bougonne, ne sachant quelle attitude prendre. Il est vrai qu’en deux coups de crocs l’affaire serait réglée… Cependant, il persiste dans l’air une odeur d’ours blanc qui ne lui plait guère…

- Soit. Que veux-tu savoir, pingouin ? l’interroge-t-elle en se couchant sur la glace.

- Je te le répète, je ne suis pas un pingouin et mon nom est Ticlou, s’énerve le pinnipède. J’ai entendu dire que ceux que vous gardez sont des animaux très dangereux…

- Dangereux ? s’esclaffe Héra. Pour qui ? Regarde-moi, Ticlou, ai-je l’air si maltraitée ? Je suis nourrie, logée, caressée, aimée, nettoyée, soignée… Que veux-tu de plus ?

- Pourtant, tu es attachée, il me semble… remarque Ticlou.

- Oh, çà ? C’est une habitude à prendre… répond nonchalamment Héra. Il faut savoir faire des sacrifices dans le choix que l’on prend.

- La liberté a-t-elle ce prix ?

- Que veux-tu, Ticlou, je suis née avec les hommes et les parents de mes parents ont fait de même depuis des générations. Ils sont nos maîtres ; nous leur sommes fidèles, à la fois comme gardien et compagnon. Nous leur obéissons et nous les aimons comme ils sont, bons ou mauvais, avec leurs qualités et leurs défauts.

- Mais alors, vous êtes des esclaves ? questionne Ticlou.

- Tu plaisantes ! Nous avons autant besoin l’un de l’autre, à tout moment et en tout lieu. Certains vont jusqu’à s’abaisser pour mieux nous servir ! ricane Héra. Tu sais, Ticlou, les humains sont vraiment une race à part.

- C’est ce qui les rend si dangereux ?

- On peut dire cela… Si tu fais partie de son clan, tu vivras, normalement, vieux et heureux. Dans le cas contraire : vis ta vie loin d’eux. L’homme est un grand prédateur. La preuve : regarde autour de toi : son habitat n’est pas aussi naturel qu’il y parait ; ses moyens de déplacement font du bruit et empestent ; son grand rêve : gagner encore et toujours plus d’argent…

- Qu’est-ce que c’est ? demande Ticlou.

- Des objets bizarres en papier et en fer, explique Héra.

- Et cela sert à quoi ?

- Dans la nature, à rien. Ni pour toi, ni pour moi : cela ne pousse pas, cela ne se mange pas…

- Mais alors ?

-  Pour l’humain, c’est diffèrent : plus il en possède, plus il est respecté. Si par malheur, il n’en a pas, il meurt. C’est ainsi. Les humains considèrent l’argent comme une divinité ; ils le vénèrent comme si sa survie en dépendait. Et pour en créer, ils utilisent jusqu’à épuisement toutes les richesses de notre planète : l’eau, les plantes, les animaux…

Heureusement, ils ne sont pas tous comme cela…

- Ainsi donc Erlik avait raison, s’exclame Ticlou.

- Qui est Erlik ? demande Héra soupçonneuse.

- Mon compagnon de route, mon ami ; répond Ticlou. Je vais te le présenter.

Publié dans Conte illustré

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